Manger avec le cœur : quand le yoga s’invite dans l’assiette

Le yoga au-delà du tapis – Épisode 4

Ce vide que la nourriture ne comble pas

Je crois que ça a commencé à l’adolescence. Ce moment flou de la vie où l’on change vite, trop vite. Où le corps évolue sans qu’on l’ait vraiment décidé. Où l’on se cherche un équilibre… souvent dans les mauvais endroits.

Je me souviens des goûters dévorés à la va-vite après les cours. Pas parce que j’avais faim, mais parce que j’étais tendue, perdue, ou simplement… là, face au frigo. Je ne mangeais pas, je comblai. Une tablette de chocolat pendant que je révisais, un paquet de chips devant un film, du sucre à chaque émotion floue.

Ce rapport à la nourriture – désordonné, émotionnel, silencieux – m’a suivie longtemps. Et à l’âge adulte, il s’était bien installé, jusqu’à ce que je découvre le lien intime entre yoga et alimentation, non pas comme une règle de plus, mais comme un retour au vivant. Je grignotais sans joie, je mangeais sans écouter. Mon corps me parlait, mais je ne comprenais plus sa langue.

Et puis un jour, encore une fois, l’Inde.

Une transformation imprévue : le thali du midi

Je n’étais pas dans un ashram réputé, ni dans un centre de retraite en pleine nature. Juste au YWCA de Madurai, une sorte d’internat simple, un peu austère, où logeaient de jeunes étudiantes indiennes. J’y avais trouvé une chambre (collective), un lit sommaire, un ventilateur grinçant et poussiéreux, et un quotidien rudimentaire. Chaque midi, on nous servait un thali : une assiette en métal, des bols en inox, du dal fumant, quelques légumes cuits, du riz, un roti (pain indien) tiède. Rien d’extravagant. Même un peu répétitif.

Au début, je riais intérieurement. « Encore du dal ? » Et pourtant… Quelque chose s’est mis à changer. Non pas en une révélation foudroyante, mais dans la répétition. Le silence autour du repas. L’absence de choix. L’humilité du plat.

Je mangeais avec les doigts, maladroitement au début. Je n’en mettais pas partout, non, mais je n’avais pas le même geste que les autres. Je devais baisser la tête pour approcher ma bouche de mes doigts, pendant que les étudiantes, elles, faisaient monter la nourriture d’un mouvement sûr, naturel, presque élégant. Moi, j’étais encore dans l’apprentissage. Et curieusement, je m’y suis attachée. À ce geste presque enfantin, intime. Mes mains devenaient un prolongement de ma conscience. Et je mangeais… plus lentement. J’étais là.

Un jour, j’ai réalisé que cela faisait une semaine que je n’avais pas grignoté. Aucune envie de sucré, pas de fringale de sel. J’étais rassasiée, oui, mais pas lourde. Mon esprit aussi semblait avoir digéré quelque chose.

Quand les aliments portent une énergie subtile

Un soir à Varanasi, il faisait moite, j’avais le ventre noué. Je venais de manger un thali tiède, un peu trop huileux. Je n’avais pas faim, en vrai. J’étais juste perdue, fatiguée. Je me suis assise sur les marches du ghat, et j’ai regardé les fumées d’une crémation lointaine. J’ai pensé : je mange pour remplir un vide, mais ce vide-là n’a rien à voir avec l’estomac. Ce soir-là, je me suis souvenue que je confondais souvent faim et angoisse, l’angoisse du manque, l’angoisse de l’absence, de l’abandon.

Quelques jours plus tard, lors d’une conversation imprévue, une médecin ayurvédique m’a parlé des gunas – ces qualités présentes dans toute chose, y compris la nourriture :

  • Sattva, la clarté, l’équilibre, la légèreté.
  • Rajas, le feu, le mouvement, l’agitation.
  • Tamas, l’inertie, la lourdeur, la confusion.

À un moment, elle m’a regardée et m’a dit : « Quand tu manges du vivant, tu deviens vivante. Quand tu manges du mort, tu l’es un peu plus aussi. »

« Je suis choquée! », aurait dit ma nièce aujourd’hui. Et oui, c’est à la fois simple et brutal. J’ai repensé à mes placards en France : biscuits emballés, chips, barres chocolatées. Des aliments sans vie. Et moi qui me sentais parfois vide, engourdie, confuse.

J’ai commencé à observer. Quand je mangeais végétal, frais, préparé maison, j’étais bien. Pas euphorique — non, posée. Stable. Et quand je craquais sur un snack industriel, même en Inde, c’était comme une brume dans la tête. Un poids dans le cœur, voire une angoisse.

Le yoga commence aussi dans l’assiette

Pendant ma formation de professeur de yoga, un enseignant a dit :
« Ce que tu manges devient ta chair, ton sang… et ton mental. »

Je l’ai noté, ça me parlait. C’est vrai qu’après un repas lourd, ma pratique devenait pâteuse. Les flexions avant étaient un calvaire, mon mental sautait comme un singe. Et les jours où je mangeais léger, simple, vivant… tout devenait plus fluide, plus doux.

Les Yoga Sūtra parlent de brahmacharya. On traduit souvent cela par « abstinence », mais en réalité, c’est une question de juste mesure. De canalisation de l’énergie vitale. Y compris à travers la nourriture. Ni trop, ni trop peu. Juste ce qu’il faut pour nourrir le corps et garder l’esprit disponible.

Postures et digestion : quand le corps parle vrai

Il y a des postures qui, aujourd’hui, sont devenues pour moi des rituels après le repas. Pas des asanas acrobatiques. Juste Vajrasana, assise sur les talons, dos droit, respiration lente. Cette posture a quelque chose de méditatif. Elle calme. Elle aide à digérer aussi bien les aliments… que les émotions.

Et plus tard, lorsque le ventre est vide, je m’accorde quelques autres gestes :

  • Apanasana, genoux vers la poitrine : un retour à soi, un relâchement du bas-ventre.
  • Dhanurasana, la posture de l’arc : elle me donne l’impression de masser mes organes avec bienveillance.
  • Balasana, l’enfant en repli : pour lâcher. Juste lâcher.

Ces postures ne sont pas là pour « brûler des calories ». Elles sont là pour prolonger la digestion comme un dialogue intérieur.

Revenir, encore et encore

Je mentirais si je disais que tout a changé pour de bon.

Parfois, je retombe. Je mange debout, dans ma cuisine, devant mon téléphone. Je grignote sans faim. Je m’oublie. Et puis je respire. Je m’arrête. Je me rappelle. Et je reviens.

C’est ça, aussi, le yoga : l’art du retour. Du pardon envers soi-même. De la patience.


Une offrande, pas un réflexe

Un jour, à Varanasi, dans une cuisine ouverte, j’ai vu un homme poser ses mains sur un sac de lentilles, fermer les yeux, et murmurer un mantra. Il n’y avait pas de spectacle. Juste une intention. Un lien.

J’ai pensé à cette phrase de la Bhagavad Gītā :
« Les dévots du Seigneur sont affranchis de toute faute, parce qu’ils ne mangent que des aliments offerts en sacrifice. Mais ceux qui préparent des mets pour leur seul plaisir ne se nourrissent que de péché. » (BG III.13)

Si nous mangeons avec gratitude, conscience, et offrande, la nourriture devient purificatrice.

Si nous mangeons dans la recherche du plaisir égoïste, cela alourdit notre karma, car l’acte est centré sur le « moi ».

Manger est donc un acte spirituel. Pas juste une question de calories. Ce qu’on mange, la manière dont on le prépare, l’intention qu’on y met… tout cela devient un chemin vers soi.

Et en dessert, vous prendrez bien une petite bouchée de présence?

L’Inde ne m’a pas donné de méthode. Elle m’a offert un miroir.

Je n’ai pas arrêté de manger par stress ou par habitude du jour au lendemain. Mais j’ai compris que chaque repas pouvait être une pratique. Une invitation à l’écoute, à la simplicité. À l’amour.

Aujourd’hui encore, en France, quand je prépare un plat, je pose parfois une main sur les légumes. Je respire. Je remercie. Pas toujours. Mais assez pour sentir que quelque chose a changé.

Et si, ce soir, vous tentiez cela :
Une assiette. Un silence. Un merci.

Parce que parfois, le véritable yoga commence… par une bouchée.

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